La loi contre les web terroristes
Le projet de loi sanctionnant la simple lecture de sites Internet appelant au terrorisme devrait être présenté demain en Conseil des ministres. OWNI a pu prendre connaissance de ce texte, à la formulation très floue. Peu après l'assaut du Raid contre Mohamed Merah, le 22 mars, Nicolas Sarkozy annonçait sa volonté de sanctionner la consultation de sites faisant l'apologie du terrorisme.
Nicolas Sarkozy l’avait annoncé le jour de l’assaut contre Mohamed Merah, le 22 mars :
Désormais, toute personne qui consultera de manière habituelle des sites Internet qui font l’apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence, sera punie pénalement.
Le projet de loi sanctionnant la consultation de sites Internet terroristes devrait être présenté demain en Conseil des ministres selon les informations recueillies par OWNI. Dans sa forme actuelle, le texte révèle plusieurs zones d’ombre et ambiguïtés. S’il est adopté, il sera une nouvelle pierre dans l’arsenal juridique antiterroriste français.
Rédaction par l’Intérieur
Le texte était dans les cartons depuis quelques temps, avant même les assassinats de Toulouse et Montauban. Dès le lendemain du discours de Nicolas Sarkozy, l’exécutif s’est mis en branle pour aller au plus vite. Ce jour-là , François Fillon annonce son intention de le présenter en Conseil des ministres de ce 11 avril, soit le dernier Conseil des ministres avant le premier tour de l’élection présidentielle.
Géré en interministériel, le projet de loi a été écrit par le ministère de l’Intérieur, le cabinet du Premier ministre s’occupant principalement de la synthèse. A Matignon, deux personnes étaient chargée du pilotage : Alexandre Lallet, conseiller justice et liberté publiques, et Ferdinand Tomarchio, conseiller technique pour l’industrie. Contacté, Matignon n’a pas donné suite à nos demandes.
Selon son site, le Conseil National du Numérique (CNN) a été “consulté par le Premier ministre” et a rendu un avis “relatif au projet de délit de consultation habituelle de sites terroristes” le 4 avril 2011. L’avis ne sera rendu public que “postérieurement à la présentation du texte en Conseil des ministres” est-il précisé.
Le projet de loi a poursuivi sa route le 5 avril devant le Conseil d’Etat. Le Sénat devrait recevoir le projet de loi après sa présentation au Conseil des ministres. Contrairement à l’Assemblée nationale, la chambre haute ne fonctionne pas selon des législatures et pourrait s’en saisir, au moins en commission avant les prochaines séances publiques.
“Consultation habituelle”
Le texte de loi vise la consultation “des sites qui provoquent des actes terroristes ou en font l’apologie” selon une version de l’avant-projet de loi dont nous avons eu connaissance. L’expression “de manière habituelle” employée par Nicolas Sarkozy le 22 mars, y est également reprise. Habituelle, soit plus de deux fois. Les magistrats devraient être chargés de définir la durée de l’intervalle entre les deux consultations à même d’en faire une consultation habituelle, le projet de loi y restant silencieux sur ce point.
La même question s’était posée pour la consultation de sites pédopornographiques. L’article 227-23 du Code pénal sanctionne “le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image [pédopornographique]“. Le nouveau délit de consultation de sites terroristes sera puni d’une peine de deux ans d’emprisonnement.
Les sites jihadistes en ligne de mire
Le projet de loi mentionne les sites qui “provoquent des actes terroristes”, sans cibler une mouvance plutôt qu’une autre. L’agenda de l’annonce, le jour de l’assaut contre Mohamed Merah, laisse penser que les sites jihadistes sont particulièrement visés. Dans sa“Lettre au peuple français”, le président-candidat écrivait, après un long développement sur les assassinats de Toulouse et Montauban :
Nous devons être intraitables contre le fondamentalisme. Il faut combattre les manifestations criminelles de cette idéologie de haine par le renseignement, la surveillance des réseaux, la coopération policière internationale. Mais il faut aussi la combattre à sa racine intellectuelle, dans les prisons, dans les prêches de certains prédicateurs extrémistes, ou encore sur les sites Internet. Faire l’apologie du terrorisme et de la violence sur Internet n’a rien à voir avec la liberté d’expression et de communication.
Cette dernière phrase entre en écho direct avec la législation actuelle. Le nouveau texte veut sanctionner la lecture de contenus faisant l’apologie du terrorisme, contenus dont la rédaction tombait déjà sous le coup de la loi. L’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse interdit de fait l’apologie du terrorisme :
Seront punis [de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende] ceux qui auront provoqué directement aux actes de terrorisme (…) ou qui en auront fait l’apologie.
Dans plusieurs affaires dites de “jihad médiatique” ou cyberjihad, les défenseurs ont contesté le chef d’inculpation d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste arguant que la nature des échanges incriminés relevait du droit de la presse (même enfreint).
Extension du domaine de l’antiterrorisme
L’association de malfaiteur est la pierre angulaire de l’antiterrorisme à la française caractérisé par “une logique préventive”, a souligné le juge d’instruction Marc Trévidic lors de son audition au Sénat. Dans le cadre de la commission des finances, les Sénateurs avaient entendu le 4 avril ce magistrat familier des affaires de terrorisme jihadiste.
Interrogé sur une loi sanctionnant la consultation de sites terroristes, Marc Trévidic s’était montré prudent :
L’autoradicalisation est facilitée par Internet, mais Internet a aussi permis de nombreuses arrestations. La surveillance d’Internet a permis le démantèlement de plusieurs filières depuis 2007. La consultation peut-elle passer dans le champ de la lutte antiterroriste ?
Plus étonnant, le projet de loi ne dit rien quant aux méthodes utilisées par les enquêteurs pour mesurer la consultation de ces sites. En ayant recours au Deep Packet Inspection (DPI), l’exploration en profondeur du trafic ? L’hypothèse est peu probable, mais seul un débat parlementaire pourrait permettre d’en savoir plus sur ce point.
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