Téléperformance en ligne directe avec Ben Ali
En Tunisie, entre 2000 et 2010, Téléperformance, géant français des centres d'appel, s'est gravement compromis avec la dictature de Ben Ali. Comme le révèle notre enquête et divers documents obtenus sur place.
À Tunis, depuis onze ans, la société Téléperformance gère les centres d’appels des clients français, par exemple Orange, SFR ou La Redoute. Bien souvent, quand vous appelez les services en ligne de ces opérateurs, c’est à un jeune salarié de Tunis ou de Sousse que vous parlez. Et pendant longtemps, ces interventions téléphoniques ont représenté un fructueux commerce pour la dictature tunisienne et pour Téléperformance – réalisées la plupart du temps sans que les clients de SFR ou d’Orange en soient informés.
Au point que Ben Ali en personne a élevé Jacques Berrebi, patron de Téléperformance, au rang d’officier de l’Ordre national du mérite tunisien, le 13 avril 2007. Hasard du calendrier, lors de la même cérémonie, Ben Ali agrafait la même médaille au veston de Belhassen Trabelsi, l’un des hommes lige de la dictature, parmi les plus impliqués dans des détournements de fonds publics. Ces honneurs ne doivent rien au hasard.
Sur place, Teleperformance s’est gravement compromis avec la dictature tunisienne lors d’un tour de passe-passe juridique, spécialement organisé pour l’entreprise française par le régime Ben Ali. Installée à Tunis dans le courant de l’année 2000, Teleperformance avait pris sur place le nom de Société tunisienne de télémarketing (comme le montre le document ci-dessous), et elle bénéficiait du statut de société offshore, puisqu’elle proposait des prestations commerciales à des personnes résidant en dehors de la Tunisie. À ce titre, le gouvernement Ben Ali lui avait accordé une première exemption fiscale pour une période de dix ans.
Dix ans de faveurs fiscales, renouvelables
Mais en 2010, ces faveurs fiscales prenaient fin. Qu’importe : pour les reconduire sur une nouvelle période de dix ans – et sans aucune raison objective – la dictature tunisienne a gentiment proposé aux actionnaires français de changer le nom de leur entreprise. La Société tunisienne de télémarketing (STT) est ainsi devenue la Société méditerranéenne de téléservices (SMT), entre le mois de juillet 2010 et d’août 2010. Permettant d’offrir aux amis français du pouvoir une nouvelle décennie défiscalisée.
La modification est intervenue dans le courant de l’été. En témoignent les feuilles de paie des mois de juillet et août 2010 des salariés tunisiens de Téléperformance, en charge de la clientèle d’Orange. Comme on peut le constater, ils sont rémunérés par la STT puis, le mois suivant, par la SMT (voir ci-dessous). La somme figurant sur ces feuilles de paie est en dinars tunisiens, soit 400 DT, l’équivalent de 200 € mensuel, pour un emploi à plein-temps confié la plupart du temps à des personnels d’un niveau minimum Bac + 3 (s’exprimant donc dans un français correct, sans accent manifeste).
Mais les bas salaires offerts par le marché du travail en Tunisie ne suffisaient donc pas aux dirigeants de Téléperformance. S’y ajoutait la volonté de gagner des profits sur le terrain de la fiscalité, quitte à passer quelques arrangements avec la dictature.
Au sein de l’administration tunisienne de Ben Ali, le transfert des salariés de la STT vers la SMT a même obtenu l’agrément de la part de la direction générale de l’Inspection du Travail. Ainsi que le montre ce procès-verbal du 21 juillet 2010 (voir ci-dessous). il stipule:
La partie syndicale accepte la mise en place des transferts des salariés de la STT vers la SMT et vice-versa, ceci [afin] d’optimiser l’organisation des deux sociétés, ces transferts pourront se dérouler à partir du 1er août 2010.
Nous avons tenté d’obtenir des explications de la part des dirigeants de Téléperfomance, sans succès. Nous nous sommes notamment entretenus avec Bertrand Derazey, patron de Téléperformance en Tunisie. Le 4 juillet, lors d’une discussion sur son téléphone portable, celui-ci nous avait confié qu’il s’agissait d’une « affaire sensible ». Il s’était engagé à nous recevoir sous 48 heures pour en parler. Depuis nous sommes sans nouvelle. La direction du groupe à Paris ne souhaite pas communiquer. Sans que l’on puisse connaître le motif de ce silence. Le risque de prolongements judiciaires, ou simplement la honte ?
Photo CC by nc sa Guillaume Dasquié
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