L’arrière-chambre de la presse
À Paris, la justice est rendue au nom du peuple français, pour le plus grand plaisir des agents secrets. Ce mardi 22 mai, au Tribunal de grande instance de Paris, notre journaliste, appelé à témoigner dans une affaire, a fait la découverte d'une salle qui servirait de planque à des services spécialisés. Une magistrate s'en est émue. Et la hiérarchie du tribunal réclame des explications. Témoignage.
Ce mardi 22 mai 2012, une mystérieuse photographe a été surprise dans la salle des témoins de la “Chambre de la presse” -soit la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris, spécialisée dans les affaires de presse- alors qu’elle photographiait, derrière un miroir sans tain, des personnes venues assister au procès de jeunes militants de la mouvance dite “anarcho-autonome” accusés d’avoir planifié des actes de “terrorisme“.
La “Chambre de la presse” examinait ce jour-là le cas de Philippe Pichon, ce commandant de police mis à la retraite d’office pour avoir dénoncé les dysfonctionnements du STIC, le plus gros des fichiers policiers (voir Le mauvais procès du gardien de la paix). William Bourdon, son avocat, avait convoqué cinq témoins, dont Delphine Batho, députée socialiste spécialiste des questions de sécurité, et notamment des fichiers policiers. Delphine Batho ayant depuis été nommée ministre déléguée à la Justice, William Bourdon m’avait demandé de la remplacer, au pied levé, en tant que spécialiste des fichiers policiers.
Je fus donc convié, à l’ouverture de l’audience et avec les autres témoins (Frédéric Ocqueteau, directeur de recherche au CNRS-CESDIP et auteur de nombreux ouvrages sur la police et la sécurité privée, Yann Padova, secrétaire général de la CNIL, ainsi qu’un gardien de la paix ayant travaillé avec Philippe Pichon), à aller patienter dans la salle réservée aux témoins, qui se situe à gauche de la “Chambre de la presse“.
En nous faisant entrer dans ce local, l’huissier de justice s’étonna d’y découvrir une dame portant un appareil photo doté d’un gros téléobjectif, et lui demanda comment elle était entrée, et ce qu’elle faisait là . La mystérieuse photographe expliqua qu’un gendarme l’avait faite entrer, par l’autre porte -qui donne sur un couloir du tribunal-, s’excusa, rangea son paquetage, et s’éclipsa.
Sur le moment, nous ne réalisions pas la portée de cette intrusion. Quelques minutes minutes plus tard, un gendarme entra par la porte extérieure -celle qui donne sur le couloir, et par laquelle était sortie la mystérieuse photographe- et nous demanda gentiment s’il pouvait éteindre la lumière. Interloqués, il nous expliqua que les grandes baies vitrées de cette salle des témoins étaient recouvertes par un miroir sans tain, et qu’il serait donc préférable d’éteindre la lumière, afin de ne pas révéler l’existence de ce miroir sans tain…
Interrogé sur cette façon de pouvoir surveiller, sans le dire, la salle des pas perdus, le gendarme nous expliqua que cela permettait, lors de certains procès, de se renseigner sur les “collectifs de soutien“.
Or, en face de ces miroirs sans tain, et dans cette salle des pas perdus, se pressaient ce jour-là des dizaines de gens venus assister à la 5e journée du procès antiterroriste de la mouvance dite “anarcho-autonome“. J’avais d’ailleurs moi-même discuté avec l’un d’entre eux, quelques minutes auparavant, et ai donc potentiellement été pris en photographie par la dame de la salle des témoins.
Au bout de deux heures passées dans une pénombre toute relative (du fait de la lumière traversant les immenses baies vitrées recouvertes des miroirs sans tain), l’huissier de justice vint nous chercher pour nous ramener au tribunal où Anne-Marie Sauteraud, qui présidait la “17e chambre“, nous expliqua que nous ne témoignerions finalement pas, le procès ayant été ajourné après que William Bourdon eut posé deux questions prioritaires de constitutionnalité (voir Le mauvais procès du gardien de la paix).
Avant de nous laisser repartir, la présidente du tribunal nous expliqua avoir été alertée par l’huissier de la présence de cette “femme avec un appareil photo” dans la salle des témoins, du fait qu’il avait “dû lui demander de sortir“, et nous demanda de raconter ce que nous avions vu.
Nous avons donc expliqué avoir vu l’huissier, déconcerté, demander à cette mystérieuse photographe ce qu’elle faisait là , et l’inviter à quitter la salle des témoins, puis un gendarme venir nous demander d’éteindre la lumière, parce qu’elle révélait la présence du miroir sans tain, qui leur servait à surveiller les “collectifs de soutien“.
Surprise, la présidente du tribunal laissa entendre qu’elle n’en avait jamais été informée, et que cela ne serait pas, sinon conforme à la loi, tout du moins aux usages. Émoi dans la “Chambre de la presse“, truffée de journalistes. L’AFP et Europe 1 viennent m’interviewer, je leur montre la photographie prise depuis la salle des témoins, derrière le miroir sans tain.
Interrogés à ce sujet, les chefs de juridiction du TGI de Paris ont depuis indiqué à l’AFP “qu’ils ignoraient totalement la présence de cette femme munie d’un appareil photo dans la salle des témoins” et qu’”ils souhaitent que toute la lumière soit faite sur cette affaire“.
Reste donc à savoir pour qui travaille la mystérieuse photographe, et depuis quand la salle des témoins de la “Chambre de la presse” servirait ainsi, et aussi, à surveiller, et photographier, les “collectifs de soutien” et autres citoyens venus assister à tel ou tel procès…
La “mystérieuse photographe” ne s’est pas présentée comme journaliste, et on imagine mal un gendarme autoriser une journaliste à pénétrer dans une salle réservée aux témoins de la “Chambre de la presse” afin de pouvoir photographier, au téléobjectif et sans être repéré, sinon clandestinement, ceux qui viennent assister à un procès.
En attendant, le procès de Philippe Pichon, censé faire la lumière sur les dysfonctionnements des fichiers policiers, aura aussi permis de révéler que la salle des témoins de la “Chambre de la presse” sert donc également (mais depuis quand ?) de “planque” aux services de police et/ou de renseignement.
Mise à jour : d’après Europe 1, qui cite un haut fonctionnaire de la préfecture, qui s’est dit consterné par cette maladresse, la mystérieuse photographe serait en fait une fonctionnaire de police des renseignements parisiens.
Citant une source policière, l’AFP confirme précise que cette policière, appartenant à la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, était entrée dans «cette salle vide sans savoir qu’elle n’en n’avait pas le droit» :
«Les policiers du renseignement effectuent régulièrement des missions de surveillance de la mouvance radicale autonome. Mais là , c’est clairement une erreur de positionnement, une erreur regrettable», a expliqué cette source policière.
Les chefs de juridiction du TGI de Paris ont indiqué à l’AFP «qu’ils ignoraient totalement la présence de cette femme munie d’un appareil photo dans la salle des témoins» et qu’«ils souhaitent que toute la lumière soit faite sur cette affaire».
Par ailleurs, ce n’est pas la salle des pas perdus (qui se trouve dans une autre aile du Palais où siège notamment la première chambre civile du tribunal) que l’on voit sur la photographie, mais le “plateau des correctionnelles“, comme le précise VT en commentaire.
Sur Twitter, Michel Déléan, journaliste à Médiapart, précise qu’”il n’y a pas de glace sans tain mais une vitre en verre fumé donnant sur le plateau correctionnel, à la XVII° chambre” du TGI de Paris.
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