Dj Radium, pilier de la scène hardcore française

Le 15 décembre 2010

Florian Pittion-Rossillon continue son exploration du milieu hardcore Français, avec cette fois-ci une de ses légendes : Dj Radium

La France compte des artistes glorieux portant haut le flambeau de sa tradition créative en matière de musiques électroniques. Si les succès de Air, Daft Punk ou David Guetta (ou autres Mustard Pimp et Don Rimini) sont réjouissants, les marges de la musique mainstream comptent aussi de brillants représentants de l’art de faire danser les foules. Ainsi, la rave hardcore française compte deux mythes : Manu le Malin et DJ Radium. Si le premier est depuis des années identifié par les mélomanes bobos, grâce à d’habiles mises en scène hors du ghetto hardcore, le deuxième est beaucoup moins connu.

Or, si l’electro comme genre musical attrape-tout estompe les origines dancefloor d’une musique devenue « un son », il reste que s’agiter sur de la musique de rave n’est jamais plus jouissif que lorsqu’un maitre-DJ s’empare des tracks (voir vidéo ci-dessous). Radium, par ailleurs membre du duo live Micropoint, est de ceux qui administrent des mix telluriquement orgiaques. La moins connue de nos stars internationales des platines retourne un public en quelques secondes et, puisqu’il s’agit de hardcore, il est question de beats puissants et de toucher précis. Et de la façon dont la rave a façonné la musique populaire selon des codes que le DJ parisien révèle.

DJ Radium, tu es professionnel de la musique depuis plus de 15 ans. Pourtant, à l’échelle de la France, le hardcore est une petite scène, presque confidentielle. Comment tout cela a commencé pour toi et comment un professionnel évolue-t-il au sein d’une scène quasi invisible du grand public ?

Cela a commencé sur un dancefloor en 1992, après que le fervent réfractaire à la culture rave que j’étais alors ait pris une claque frontale en découvrant le pendant le plus extrême de la techno ! Déjà musicien amateur à l’époque, il ne me fallut pas longtemps pour me mettre définitivement au hardcore.

Le manque de visibilité de cette scène ne m’a jamais trop dérangé en soi, je pense que tout fan de hardcore est à la base quelqu’un qui à tendance à rejeter la ‘culture mainstream’. Mais ce n’est pas parce que cette scène n’est pas médiatisée qu’elle est ou a toujours été confidentielle. Heureusement, il n’est pas encore indispensable pour un musicien de passer à la télé pour pouvoir vivre de son art !


Il est vrai que les médias ont pu desservir la scène rave par les amalgames qu’ils ont créés et véhiculés, mais je pense que cela a finalement beaucoup plus influencé les pouvoirs publics que le public susceptible de s’intéresser à la rave, et on ne peut plus dire aujourd’hui que la techno ait encore cette ‘mauvaise réputation’…

Tu es, avec Manu le Malin, l’autre DJ mythique du hardcore français. Comment expliques-tu que vous soyez deux et pas 20 à avoir ce statut.. ? Comment expliquer que la scène française ne permette pas à plus de musiciens de hardcore de vivre de leur art (Alors qu’en Hollande par exemple les DJ professionnels sont bien plus nombreux) ?

C’est un peu réducteur de ramener l’importance ou la viabilité d’une scène au nombre de ‘figures mythiques’ qu’elle compte, le hardcore est encore une jeune scène par rapport à la majorité des autres.

Et je ne sais pas si on peut dire que cette scène ne permet foncièrement pas aux musiciens d’en vivre, ces derniers étant quand même déterminants dans le développement de la scène… Dans une certaine mesure, chaque nouvel artiste amène de nouvelles personnes à s’intéresser à cette musique, c’est en soi à la portée de chacun d’y apporter suffisamment pour pouvoir en vivre, quel que soit l’état de la scène à ce moment-là.

En Hollande, la scène hardcore est beaucoup plus développée qu’en France, donc beaucoup plus attractive pour de nouveaux artistes, c’est pour cela qu’il y en a plus qu’en France qui choisissent cette voie, mais cela ne veut pas dire que 20 DJ ne pourraient pas en vivre en France. Chaque éclosion d’une nouvelle génération d’artistes s’est toujours soldée par une recrudescence massive de la fréquentation des soirées et un développement conséquent de la scène dans son ensemble.

DJ Radium à la soirée Megarave France en 2009

La société infiltrée par les codes rave

Bien souvent, le grand public confond rave et free party. Quelle distinction fais-tu entre les deux ?

La rave est un peu le terme utilisé pour englober toute la scène techno et ses différents courants, parfois encore plus globalement dénommée ‘musiques électroniques’ en France et ‘house’ à l’étranger ! A la base, la rave est une grande fête techno dans un lieu insolite avec profusion de décibels et de lights, dans un esprit de pur délire et de tolérance…

La free party est son courant le plus alternatif et rebelle, dont les principes de bases sont le DIY et la (pseudo ?) gratuité… Les lieux sont le plus souvent squattés (d’où une prédisposition pour le plein air), la technique et la sécurité approximatives, et l’on y va surtout pour le fameux état d’esprit ‘free’ (tout est permis et f*** le system)! Il est indéniable qu’une certaine forme de hardcore est prépondérante dans les free-parties, mais il serait erroné de faire l’amalgame entre les deux scènes.

La rave a-t-elle encore un sens, en 2010 ? Ou est-ce que c’est une utopie des années 90 ?

Bien sûr, même si pour la génération actuelle, la rave n’est plus aussi novatrice qu’elle l’était pour les ravers d’il y a 20 ans… Il est vrai que de nombreux éléments ou codes rave ont infiltré la société dans son ensemble. La rave pourrait sembler avoir perdu de sa spécificité, mais aucun autre mouvement depuis n’a été aussi novateur et fédérateur en même temps…Il me semble donc bien que la rave soit encore à la pointe de l’underground !

Ce qui fait « techno » fait jeune et fait vendre

Quels sont les codes rave dont tu parles ? Musicaux, vestimentaires ou autres ? Cela est difficile à percevoir, tant la rave est encore mal connue.

Musicalement, depuis 10 ans, on peut dire que la techno a infiltré quasiment toutes les musiques estampillées ‘jeunes’ : l’utilisation de la TR909, de boucles acides ou d’effets de filtres s’est généralisée (seul le rock pur et dur y est peut-être encore globalement réfractaire…) , elle a posé de nouveaux standards en matière de précision qui font qu’aujourd’hui, même les grosses productions de variété ou de jazz sont le plus souvent recalées sur ProTools.

Globalement, une certaine esthétique techno s’est insinuée un peu partout, c’est presque devenu un cliché de dire que ce qui fait ‘techno’ fait jeune et fait vendre !

Si comme tu l’affirmes la rave « est encore à la pointe de l’underground », sur quel levier peut-elle compter pour se développer, maintenant qu’elle ne peut plus jouer sur l’effet « nouveauté » vu qu’elle a 25 ans ? Et au fait, c’est quoi, « l’underground » ?

Je ne prétendrai pas définir l’underground, terme dont chacun peut avoir sa définition ! Pour moi, cela peut désigner des scènes artistiques alternatives où le profit n’est pas une motivation première, privilégiant donc souvent la création. Ainsi, la création reste le levier de développement de la rave, si certaines de ses spécificités ont été récupérées partout ailleurs, à elle d’innover et de créer de nouveaux concepts… Qu’ils soient musicaux ou autres.

Le hardcore, laboratoire de la techno

Peux-tu expliquer les spécificités du hardcore par rapport à la techno ?

Le hardcore est à la base la forme extrême de la techno : plus rapide (en général à partir de 160bpm jusqu’à…), plus lourde et énergique (rythmiques saturées), rejetant le plus souvent la mélodie pour privilégier des sonorités âpres et synthétiques, et véhiculant souvent un message sombre ou provocateur. Au départ, le maître-mot était de prendre à rebrousse-poil tous les codes musicaux existants, sculpter le bruit et l’énergie, mais depuis ses balbutiements, le hardcore a connu des vagues successives qui le rendent aujourd’hui beaucoup plus codifié et formaté, mais aussi redoutablement plus efficace pour ce qui est de faire bouger un dancefloor !

Si on considère la techno comme étant à la pointe de l’innovation des techniques sonores des 20 dernières années, et le hardcore comme son ‘labo expérimental’, on pourrait presque dire que quasiment chaque nouvelle sonorité depuis 20 ans a d’abord été utilisée en hardcore…

Audiogenic, dont DJ Radium est le co-fondateur et le Directeur artistique, est la plus grosse société de production discographique indépendante de France, dans le registre de la techno hardcore

Tu es considéré comme l’inventeur d’une variété de hardcore, le « frenchcore ». D’où vient ce terme et comment expliquerais-tu les caractéristiques du frenchcore à un non-connaisseur ?

On me l’attribue, mais je n’ai ni inventé ce terme, ni fait ma musique dans l’optique de créer un style à part entière ! On définit en général le frenchcore comme un hardcore rapide, clair, festif, coloré, souvent basé sur des samples, et appelant au pogo !

Ce terme de « pogo » vient de la culture punk et metal. Or tu viens d’univers musicaux complètement différents, voire opposés, comme le rock progressif… Quels sont tes premiers goûts musicaux et comment tu investis ton bagage musical dans ton travail de compositeur ?

Ma passion pour la musique a débuté enfant avec de la pop anglaise 60’s (Beatles en tête), puis avec du rock progressif 70’s (Pink Floyd, Genesis…). Ado dans les années 80, je n’ai pas coupé à la new-wave de l’époque et aux bons vieux Depeche Mode, Cure, etc… avec une petite préférence pour New Order et les pionniers Kraftwerk, d’autres artistes de l’époque (Prince), des artistes plus inclassables (Bowie, Zappa), du rock (Queen) et du punk aussi (Sex Pistols), même si j’ai longtemps été réfractaire au metal et que l’on ne puisse pas dire que je sois un fan de rock pur et dur selon les critères actuels… Au final, pas mal de trucs grand public.

Ce bagage et d’autres choses que j’ai pu écouter depuis que je fais du hardcore (big beat, electro, rock ‘moderne’, etc…) sont évidement une grande source d’inspiration pour moi, je pense qu’une bonne idée musicale peut s’affranchir des barrières du style ou de l’époque.

L’arrêt de mort du vinyle

Est-ce que tu pourrais travailler avec des musiciens oeuvrant dans d’autres genres musicaux, et si oui lesquels ?

Bien sûr, j’ai toujours été très attiré par les expériences hybrides ! Chaque univers musical a beaucoup à apporter aux autres, c’est toujours une expérience mutuellement enrichissante. Je suis a priori ouvert à tous les styles, même si j’aurai forcément plus d’attirance pour des collaborations avec des styles proches, au moins en énergie.

Certains acteurs-clés de la musique en général et de la techno en particulier, à savoir les labels et les distributeurs, ont beaucoup souffert ces dernières années. En tant que DA d’Audiogenic, la plus grosse structure professionnelle indépendante dédiée au hardcore en France, comment as-tu accompagné les changements de ces dernières années ?

Il est clair que la crise du disque est particulièrement dure pour les producteurs indépendants et bien plus encore pour la scène hardcore (au public jeune féru d’internet et peu enclin ou habitué à acheter de la musique…) De plus l’abandon progressif du vinyle par les DJ est sur le point de signer l’arrêt de mort de ce support… Mais même pour la scène hardcore, il y a un regain net de fréquentation des évènements.

Affûté, prêt à bondir, tendu comme un tigre... et beau dans l'effort.

Est-ce que ça veut dire que toutes les structures qui vivaient de la production de vinyles vont se reconvertir dans l’organisation d’évènements pour survivre ?

Oui et non… Si l’on ne parle que des producteurs de vinyles indépendants, ces structures étant en grande majorité gérées par des artistes, ceux-ci bénéficient directement du regain des soirées en multipliant les dates, sans pour autant devoir changer l’activité de leur structure.

Pour les producteurs de CD ou ceux qui ne sont pas par ailleurs artistes, la situation est plus délicate, l’organisation d’évènements est effectivement un moyen de survie, mais est loin de pallier à l’effondrement du marché du disque. Il est clair que, vu l’état des choses, la musique seule ne se vend plus, il faut proposer des ‘produits’ proposant plus que de la musique pour espérer faire des ventes.

Les platines CD ont été conçues pour être très proche des platines vinyle dans leur utilisation

En tant que DJ tu as bien évidemment commencé à mixer sur vinyle. Aujourd’hui tu mixes aussi bien sur vinyle que sur CD. Peux-tu expliquer les principales différences entre les deux supports, en termes de prise en main par le DJ, et en termes de rendu à la sortie des enceintes ?

Vouées à séduire les DJ habitués au vinyle, les platines CD ont été conçues pour être très proche des platines vinyle dans leur utilisation : on fait défiler le morceau en avant et en arrière à la main, scratches, spinback, quasiment tous les effets possibles sur vinyle le sont aussi sur CD (le numérique en offrant bien évidemment de nombreux autres). Le toucher est par contre beaucoup plus lourd que sur du vinyle, ce qui demande donc moins de précision et permet donc à un DJ habitué aux vinyles une prise en main quasi directe du CD. De plus, évidemment, sur CD, pas de problème (ou très rarement) de disques qui sautent…

Le son des 2 supports est différent, sur vinyle c’est plus chaud et rond dans les basses, pour le CD les aigus sont plus précis et les basses plus sèches. En sortie de façade, cela dépend le plus souvent du support sur lequel le son a été réglé, si il a été réglé sur du CD (ce qui est le plus souvent le cas), le vinyle ressortira plus étouffé et il y aura sûrement du rumble… Dans le cas contraire, le CD manquera de puissance et sera plus criard que du vinyle.

Ton top 5 des tracks hardcore de tous les temps ? Wow, c’est dur de n’en garder que 5… sans ordre de préférence : DOA – “Wanna Be A Gangster” / Caution Acid – “100% Acidiferous” / Euromasters – “Alles Naar De Kloote” / Original Gabber – “Pump That Pussy” / Hardsequencer – “Mindcrash”

Ton top 5 des albums de tous les temps ? Là aussi, c’est dur… The Beatles – «Abbey Road» / Pink Floyd – «The Wall» / New Order – «Substance 1987» (même si ce n’est pas réellement un album !) / The Prodigy «The Fat Of The Land» / Kraftwerk – “Electric Café” … Mais j’ai vraiment l’impression d’en oublier plein !

N’est-il pas paradoxal que certains DJ qui ont des labels vinyle ne se produisent plus en soirée qu’en mixant des CD ? Ils ne rendent pas service à leur business ?

C’est le paradoxe du DJ également producteur ! En tant que producteur, il faut vendre du vinyle, mais même si en tant que DJ, on préfère le vinyle, les standards ont changé et comme je l’ai dit, si dans les soirées, la sono est calée sur du CD, ça peut-être difficile de bien faire sonner du vinyle… Il arrive même qu’il n’y ait pas de platines vinyle où qu’elles ne soient tout bonnement pas en état de marche. Mais il reste encore des gens qui s’en servent, alors il faut bien continuer à en faire… Vive la schizo !

La scène et les modes

Tu as commencé à te produire en soirée il y a 15 ans. A l’époque, le public techno venait des autres musiques. Aujourd’hui, le public des soirées est né dans la techno. Quelles sont les différences que tu as perçues dans les générations successives ?

Au début, ce ‘melting-pot’ musical donnait vraiment lieu à un débordement de créativité, chaque culture apportant ses références à l’édifice, ce qui donnait une scène qui se renouvelait à une vitesse folle. Depuis, les différentes générations de ravers ont cristallisé certains codes, la scène évolue donc moins vite, au gré d’’effets de modes’ qui durent 3 ou 5 ans, la où, au début, la musique se renouvelait tous les 6 mois.

Tu es considéré comme un des meilleurs DJ hardcore au monde, avec un feeling très énergique et communicatif, ainsi qu’une grande technique. Quels sont les 5 conseils que tu donnerais à un DJ débutant ?

Merci ! Je dirais que le choix de la musique est essentiel, bien plus que la technique… Il faut être réceptif au public sur le dancefloor, c’est avant tout pour lui que l’on est là… Avoir un son propre, évidement… Se reposer les oreilles après chaque soirée… Et un cinquième ? Garder son sang froid en toutes circonstances !

Tu recommandes d’être réceptif au public, mais souvent la timidité est un gros frein… Quels sont tes trucs pour être réceptif et bien capter la vibration du public ?

L’alcool ? Non, sérieusement, c’est dur à dire, chacun à ses façons de gérer son stress et son trac… Mais j’ai tendance à dire que plus on a le trac, mieux on joue une fois qu’on y est…

Es-tu sensible au débat sur les nuits parisiennes ? Est-ce que tu te sens concerné ? Plus largement, est-ce que tu suis l’évolution du débat entre les organisateurs et l’Etat ?

Ah, il y a un débat sur les nuits parisiennes ? Je joue assez rarement à Paris, n’y étant quasi aucun weekend, j’ai un peu de mal à suivre ce qui s’y passe… Je ne suis pas trop l’évolution du débat entre les organisateurs et l’Etat, il me semble un peu figé depuis quelques temps, mais on ne peut pas dire que l’Etat ait une attitude aussi répressive que par le passé.

Plus on a le trac, mieux on joue

Qu’est-ce qui te fait continuer, près de 20 ans après tes débuts ?

La passion de la musique, encore et toujours !

Comment parleras-tu de ces années quand tu auras 100 ans ?

Si j’y arrive ! Je ne sais pas trop, je ne pense pas trop à mes années de vieillesse à venir… Je parlerai surement de cette période comme d’années de fêtes et d’insouciance.

As-tu conscience d’être, pour plusieurs générations de ravers, un mythe ?

C’est un bien grand mot ! J’essaye de vivre ma passion de la musique et du travail bien fait, si cela en a inspiré certains, je ne peux que m’en sentir flatté.

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Cet article a été initialement publié sur Culture DJ
Photos : Florian Pittion-Rossillon

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