Punk me I’m (not) famous!

Le 19 octobre 2010

On ne compte plus celles et ceux qui se disent punk en ignorant tout de cette culture... Il est grand temps de leur régler leur compte, avec humour et rock'n'roll bien sûr.

Après avoir prêté sa plume à plusieurs publications en ligne, Catnatt a récemment ouvert son blog, Heaven can wait. Pour cette fine connaisseuse de la chose musicale, il était tout logique de se pencher sur un phénomène qui tient tout autant de la sociologie. Pourquoi donc certains ressentent-ils le besoin de s’approprier l’esprit punk alors qu’il savent à peine orthographier le mot ?

Je n’ai jamais été punk, je ne le suis toujours pas et je ne le serai jamais. On m’a surnommée « Fonzie » pendant des années, c’est dire (enfin.. pour être honnête, c’était surtout pour se foutre de ma gueule vu que j’avais un côté pas cool du tout). Je suis une petite bourgeoise de province, gauchiste de cœur, probablement par contradiction vis-à-vis de mon cher papa, je suis une bobo, coincée entre mon petit confort et de grands idéaux. De fait le punk est extrêmement loin de moi, tant de tempérament que de culture.

Pour autant, il y a une tendance qui m’agace prodigieusement depuis quelques temps, une mode qui consiste à se réclamer du punk sans vraiment réfléchir. Par contre, si l’on prend le temps d’observer qui ose prétendre à voix haute une hérésie pareille, bingo, c’est un bobo !

Je lis de-ci, de-là, « punk spirit » « punk inside » « punk machin » « punk truc ». J’ai envie de leur dire à ces gens-là…

« Faut vous dire, Monsieur que chez ces gens-là. On n’vit pas, Monsieur…On n’vit pas, on triche »… (Jacques Brel)

Oui j’ai envie de leur dire « leaaaaave the punk alone » (le summum étant atteint avec Lady Gaga « Je suis une punk classe », on croit rêver tant elle est impeccablement intégrée au système, celle-là.)

J’ai demandé à quatre personnes de me définir le mouvement punk. Ulrich de Shot by both sides m’a répondu ceci :

«Le punk ? Qu’est-ce que c’est ? Déjà soyons clairs, parlons-nous du mouvement punk ou du punk-rock ?

Nous avons tendance aujourd’hui à mélanger les deux et à ne mettre qu’en avant son pendant musical alors que le punk-rock n’est qu’une des nombreuses facettes artistiques du mouvement. Se revendiquer du mouvement punk, c’est tout d’abord être contre le système et l’ordre établi, réellement et profondément. C’est un mouvement contestataire qui répond par la violence à une violence sociale, économique et liberticide. Il faut savoir que le punk est la confluence de plusieurs courants politiques, philosophiques, littéraires et artistiques : l’anarchisme en premier lieu, le marxisme et le nihilisme dans un second temps. De même, on pourrait dire que les dadaïstes furent les premiers véritables punks ainsi que leurs héritiers : les surréalistes, les lettristes, les situationnistes et dans une moindre mesure les membres de la Beat Generation, Burroughs en tête..

Et si l’Angleterre a été le creuset du mouvement, il ne faut pas sous-estimer ce qui s’est passé au même moment, voire un peu avant, aux États-Unis et en Australie. Le mouvement punk est donc avant tout anglo-saxon et européen, ensuite. Le punk exprime visuellement et intentionnellement son rejet de la société dans laquelle il vit. Il se met en marge volontairement et n’hésite pas une seule seconde à manifester son dégoût, en provoquant sciemment l’ordre établi.

Au-delà d’un état d’esprit, être punk, ça se vit au quotidien. Un punk ne s’affiche pas, il fait et généralement, ça se sait. Qui aujourd’hui peut se revendiquer punk ? Personne. Dans une société comme la nôtre où la compromission est de mise à chaque seconde, se revendiquer punk est une imposture. Qui était hier punk ? Guy Debord, oui. Arthur Rimbaud, aussi. Netchaïev, certainement. Et en musique ? Les Sex Pistols, définitivement. Les autres se sont accommodés du système et sont responsables de sa récupération.»

De fait, j’ai envie de dire qu’un punk en général ne braille pas sur Twitter ou sur iChat ou sur Facebook qu’il l’est punk hein…

Benjamin de Playlist Society, lui a plutôt analysé le phénomène actuel :

« Qui : des enfants devenus adultes pour qui le mot punk n’est pas une culture mais une brique parmi tant d’autres de ce dans quoi l’être humain a le droit de piocher pour composer sa personnalité.

Quoi : un mode de vie qui est devenu une culture. Or toute culture s’accompagne d’attributs et de codes visuels. Aujourd’hui, la culture a disparu, il ne reste que des attributs et des codes. Se réclamer de la punk-attitude, c’est une méconnaissance du sujet et non un engagement social.

Comment : par les simples mécanismes de la société et par la récupération dorénavant systématique des contre-cultures.

Où : partout où les gens ont besoin de se positionner par rapport aux autres.


Pourquoi : parce que c’est dans la nature humaine de se revendiquer de quelque chose. D’autant plus quand ce quelque chose est lié à des notions qui flattent l’égo comme l’indépendance, la rébellion et l’anarchie.»

C’est pas une belle aberration, ça, de se flatter l’égo avec un mouvement qui tendait vers tout sauf l’égotrip, la flatterie, et la flagornerie ? On atteint des sommets dans le personal branding, tout est bon pour sur-exister, se démarquer des autres en étant conformiste à en pleurer. Je ne peux pas être d’accord, je trouve honteux de laisser récupérer ce mouvement par des bobos en mal d’identité. Tout a été recyclé, usé, dénaturé, je sais, je sais, mais de par sa violence de contestation, le punk devrait être respecté et laissé là où il est, mort et enterré. Il ne peut renaître de ses cendres en l’état, car il a été intégré par tous ou quasi depuis que le capitalisme est incontournable. Certains veulent réformer, adapter ce système mais le détruire, non. Il peut exister un mouvement social, musical, culturel de contestation, mais ayons la décence de ne pas se réclamer d’une lame de fond aussi importante qu’éphémère. Le grunge par exemple, à mes yeux, n’était que du punk délavé, passé à la machine, beaucoup moins radical, déjà fané, terni, fatigué.

Quand je vois un bobo afficher « punk », nous sommes automatiquement face à une escroquerie, car comme le dit Isabelle Chelley de Rock and Folk, qui m’a gentiment répondu :

« Pour moi, le punk c’est comme le cool, on ne le dit pas, on n’y joue pas, on ne le fait pas, on l’est… »

Qu’est-ce que ça ajoute en terme de valeur ajoutée, une jolie petite mention quasi légale « je suis punk » ? C’est glamour, c’est sexy, ça suppose qu’on est révolutionnaire ? C’est classe, c’est rock’n roll, ça suppose qu’on est un opposant planqué derrière son Mac, cheveux crados, mais fringues « The Kooples » ? C’est underground, follement hype, ça suppose qu’on manifeste depuis son loft à Montreuil ?

Mr Olivier va plus loin :

« Punk ou pas, mais le punk est un superbe exemple, les révoltes ont une furieuse tendance à s’avérer solubles dans les institutions. Mettez un révolté sous les projecteurs, offrez lui de la visibilité, puis observez : oh ce révolté a engendré tout plein de moins révoltés (mais plus exposés car trend setters). Et paf, ah y est : des badges à la con, des posters trop vindicatifs pour les murs des grandes chambres auxquels ils sont punaisés, des attitudes qui ne sont que postures, du… « total look , (exemple le fameux « no future » déformé puisqu’à l’origine c’était « no future for you » adressé à la reine d’Angleterre»). Il est déjà trop tard : la révolte est devenue lifestyle. Entendons « calibrée » « prémâchée » « markettée » et digne désormais de figurer en bonne place dans les pages Tendance/société, ou pire « look de la rentrée » (oui, je sais mais c’est vrai). Et si le punk est mort, il faudrait rappeler à tous ceux qui voudraient se servir que le cadavre est piégé. »

Si on les laisse faire, il y aura bientôt une série « Punk men », « Punk’s anatomy », déjà que pour les fringues, ça devient limite, et si une Lady Gaga prétend être punk, au niveau musical, du moins nous serons peinards. Mais le mouvement punk est politique. Profondément politique.Vous ne pouvez pas prétendre être punk et voter pour Ségolène Royal ou Bayrou, il y a des limites au foutage de gueule.

Ce qui me choque le plus dans cette tendance, c’est que ce sont des gens, pour la plupart cultivés et intelligents qui se réclament du punk. Je pourrais pardonner s’il s’agissait d’ignares, ou de djeunes en mal d’identité. Mais là, on est face à des trentenaires d’un certain niveau culturel et social, plus bourgeois que bohème, c’est navrant, relativement pathétique et impardonnable.

Pourquoi je tiens tant que ça à préserver le punk d’une quelconque récupération alors que je ne l’ai jamais été ? Parce qu’il y avait un aspect indéniablement pur malgré la crasse, la violence et les errances. Parce que c’était la première fois qu’une partie de la jeunesse explosait les codes à ce point-là. Parce qu’il était tant dans la destruction qu’il était voué à se détruire de lui-même logiquement.

Punk is dead. Laissons-le reposer dans sa tombe, en paix… Ou toujours en rage, oui, en rage, bouillonnant ; il renaîtra alors peut-être de ses cendres, violemment, toujours explosif, excessif et brutal pour hurler l’injustice du monde, faire table rase du passé et créer un monde, un champs de ruines où tout sera à construire. Et à cet instant mémorable, j’arriverai à entendre cette clameur, j’arriverai à la lire cette clameur surgie du néant et du fond des tripes, cette clameur qui dirait :

« Nous sommes des punks »

Je remercie Ulrich, Isabelle et Benjamin, qui ont largement contribué à ce texte ainsi que Mr Olivier pour son commentaire inséré dans le texte dans sa version finale. Ulrich vous a même concocté une bibliographie  et et je vous suggère de jeter un coup d’œil à cette vidéo  si vous voulez vraiment comprendre le mouvement punk.

Bibliographie :

Lipstick traces de Greil Marcus
Please kill me, the uncensured oral history of punk de Legs McNeil et Gillian McCain
England’s dreaming de Jon Savage

Article initialement publié sur Heavencanwait.fr

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Crédits photos : FlickR CC wind.com.my ; milesgehm ; LordKhan

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