OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 São Paulo, ville (presque) sans pub http://owni.fr/2011/07/05/sao-paulo-ville-presque-sans-pub/ http://owni.fr/2011/07/05/sao-paulo-ville-presque-sans-pub/#comments Tue, 05 Jul 2011 12:37:55 +0000 Alexandre Marchand http://owni.fr/?p=72657

Une rare victoire de l’intérêt public sur le privé, de l’ordre sur le désordre, de l’esthétique sur la laideur, de la civilisation sur la barbarie

La verve en bandoulière, le lyrisme porté haut et fier, l’écrivain brésilien Roberto Pompeu de Toledo célèbre, à sa manière, la loi “Ville Propre” de São Paulo, un an après son vote.

São Paulo, octobre 2006. Le poumon économique du Brésil est enfoui sous une épaisse couche de publicité. Des panneaux géants envahissent les toits, les néons prolifèrent, des bâches dissimulent des immeubles entiers. Cinq millions d’affiches pour vingt millions d’habitants. Avec l’abondance de la publicité, le message commercial se dilue dans la masse… un problème que les communicants résolvent en intensifiant l’affichage!

Pour s’extraire de ce cercle vicieux, la nouvelle loi se devait de frapper fort. A la surprise générale, le conseil municipal vote alors, à la quasi-unanimité, une loi bannissant la publicité de tout l’espace public. “Ville propre”, une première mondiale.

A l’exception notable du mobilier urbain (abribus notamment), toute affiche visible depuis la rue doit désormais irrémédiablement disparaître. Les quelques pubs encore autorisées doivent se plier à des conditions drastiques de taille, de hauteur, d’espacement…. Voté sous l’impulsion du maire Gilberto Kassab (centre-droit), acquis aux principes de la société de consommation, le décret se veut un simple acte de bon-sens pour lutter contre la pollution visuelle, dénué de toute arrière-pensée idéologique.

Une ville à réaménager

Entrée en vigueur le 1er janvier 2007, la loi “Ville Propre” transforme, plusieurs mois durant, São Paulo en un immense chantier à ciel ouvert. Un à un les panneaux publicitaires sont démantelés, parfois accompagnés d’une amende salée (pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers d’euros) pour les propriétaires récalcitrants. Nulle pitié, même les affiches électorales n’y coupent pas!  La légende veut même qu’un avion frappé d’une publicité ait été interdit de survol de la ville. Ce qui amène les habitants, les Paulistes,  à découvrir un beau jour leur cité nue… et hideuse.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La ville est moche, du coup la publicité cachait sa laideur” affirme Nicolas Lechopier, auteur d’un mémoire sur le sujet et militant anti-pub au sein du Collectif des Déboulonneurs.

Nous sentons que les gens parlent avec fierté de cette ville nouvelle qui est apparue, ce qui était caché par la pollution” avance, à l’inverse, Régina Monteiro, directrice de l’urbanisation à São Paulo et l’une des clés de voûte du projet “Ville Propre”.

Ils disent qu’ils voient une ville plus belle, ils voient l’architecture, le paysage, l’environnement urbain

Pour habiller ces façades désormais épurées, la municipalité de São Paulo a dû mettre en place une ambitieuse politique d’aménagement urbain: graffs, sculpture, photographie…

Disparition de la publicité, certes, mais à quel coût ? Dalton Silvano, conseiller municipal de São Paulo, fut la seule voix discordante lors du vote de la loi. Pour cet ancien publicitaire, elle a porté un coup dur au monde de la communication. “Cela a eu un effet terrible, aboutissant à la fermeture d’entreprises de l’industrie ainsi qu’au renvoi de milliers de travailleurs, directement ou indirectement impliqués dans ce média” affirme l’élu, sans toutefois citer de chiffres précis.

Même flou du côté de la municipalité:  “Nous n´avons pas réalisé d’études sur le sujet, mais nous savons que les gens qui dépendaient de travail d’affichage ont été formés dans d’autres types de travaux tel que le marché qui a été créé pour répondre aux façades du commerce”. Au plan macro-économique, la loi ne semble avoir eu que peu de répercussions: les annonceurs se sont rabattus sur les autres moyens de publicité disponibles (médias, télévision…)

Effectivement, la publicité est loin d’avoir disparue totalement. “La loi a banni l’affichage tel qu’il existait mais ça va revenir par le biais du mobilier urbain” explique Nicolas Lechopier. Car, selon les propres termes de “Ville Propre”, les abribus, les horloges publiques ou encore le métro sont exemptés de l’interdiction. En 2009, un appel d’offres, sur les rangs duquel se trouvait JC Decaux, a d’ailleurs été lancé pour la construction de nouveau mobilier urbain. La loi interdit la publicité fixe? Qu’à cela ne tienne, un homme-sandwich ne tombe pas sous le coup de l’interdiction…

La suppression de la publicité, vitrine de São Paulo

Il n’y aura pas de vigilance parce qu’il n’y a pas d’idéologie sous-jacente à la loi, il faudra vraiment qu’ils y réfléchissent à deux fois avant de remettre de la pub

s’inquiète Nicolas Lechopier. Mais le décret “Ville Propre” a connu un écho inattendu. A l’heure où les grandes métropoles soignent leur image pour attirer les capitaux, la suppression de la publicité est devenue la vitrine de São Paulo.

Les répercussions internationales n’étaient pas du tout prévues, confirme Régina Monteiro. Dans les trois ans qui ont suivis le vote de la loi, nous avons été approchés par plusieurs villes hors du  pays et, ces dernières années, par des grandes villes brésiliennes désireuses de mettre en oeuvre leur propre projet

Prise au dépourvue, São Paulo s’est vue conférée un statut de précurseur en matière de réglementation de la publicité. Quatre ans après l’adoption de la loi “Ville Propre”, près d’une cinquantaine de métropoles ont adopté des législations similaires. Pour Régina Monteiro, “Ville Propre” fait désormais partie du patrimoine pauliste, peut-être la clé de sa pérennité:

Si un politicien essayait de la changer, nous sommes sûrs que la population viendra la défendre. La loi n’est pas plus d’un politicien ou d’un autre, la loi est de la ville.

Flickr CC Paternité west.m PaternitéPartage selon les Conditions Initiales jk+too PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification uckhet

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“Le dubstep transforme l’urbain autant qu’il le reflète” http://owni.fr/2011/03/26/le-dubstep-transforme-l%e2%80%99urbain-autant-qu%e2%80%99il-le-reflete/ http://owni.fr/2011/03/26/le-dubstep-transforme-l%e2%80%99urbain-autant-qu%e2%80%99il-le-reflete/#comments Sat, 26 Mar 2011 08:00:11 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=31345 Urban After All S01E09

Peut-on comprendre l’espace urbain d’aujourd’hui en s’intéressant aux formes musicales qui émergent en son sein ? C’est une question qui intéresse depuis un certain temps les sociologues et autres chercheurs en cultural studies. Des travaux ont ainsi abordé l’importance du jazz dans les années 60, du hip-hop dans les années 70-80 et de la musique électronique dans les années 90.

Il est cependant intéressant d’observer des formes plus récentes et de décrypter ce qu’elles révèlent sur l’urbanité en ce début du 21e siècle. Parmi les formes actuelles, c’est le dubstep qui m’intéresse en particulier car il témoigne d’un double rapport à l’espace urbain. Il est d’une part un pur produit de son environnement de naissance (la ville occidentale postmoderne) mais il vient aussi altérer nos perceptions pour former une urbanité originale.

Dubstep, WTF !?

Dubstep : Croisement assez naturel du 2-step [en] avec divers éléments de breakbeat ou de drum’n bass avec un traitement du son dub. Né dans le sud de Londres, les morceaux sont en général très syncopés avec des beats espacés donnant une ambiance nerveuse. Le rythme est d’ailleurs bien souvent plus donné par les basses que par les beats. L’atmosphère qui s’en dégage apparaît à la fois sombre (sons crades, étouffés) et futuriste (samples furtifs, utilisation massive du delay et de l’écho).

Des restes hérités de style musicaux antérieurs viennent parfois sortir l’auditeur de cette atmosphère. Ce peut être le phrasé saccadé et inquiétant d’un MC ou l’utilisation de certains échantillons de voix reggae, seule présence chaleureuse et quasi nostalgique dans ce mélange sombre. Au final, le mariage entre ces caractéristiques donne un effet étrange et fascinant de torpeur mélangé à une certaine nervosité.

The Bug ft. Killa P & Flow Dan-Skeng by orele

Un style musical influencé par sa nature urbaine

Quand on se pose la question du caractère urbain d’un genre musical, on pense directement à la manière dont les conditions dans lesquelles cette musique est produite peut structurer son esthétique. C’est évident pour beaucoup de genres tant par le choix des instruments que par le thème des paroles. Dans le dubstep en particulier, cela se ressent par les choix de rythmes, de samples ou d’effets qui émergent de la réalité dans laquelle les DJ et producteurs de dubstep ont grandi.

Et lorsqu’il y a des paroles, celles-ci abordent soit des enjeux urbains actuels (et notamment la violence ou l’ennui) soit le futur de la ville. De l’environnement urbain et suburbain du sud et l’est de Londres dans lequel ce courant a évolué, un cadre de référence s’est ainsi construit. Celui-ci se mélange avec une dose de science-fiction pour proposer un imaginaire très spécifique. Il apparait abondamment dans les visuels utilisés mais surtout dans la musique elle-même comme le montre le documentaire Bassweight [en]. Tant les lieux présentés dans ce doc que les ambiances nocturnes avec des timelapse de lumière.

Couverture de l'album Memories of the future par Kode9 & Spaceape.

D’où le caractère froid, sombre et rude de ce style musical. Des sons spectraux ponctuels renvoient à des alertes ou des sirènes. Les fortes basses rappellent des travaux de construction ou le passage de flux de transports. Dans un interview sur ses souvenirs sonores, le producteur Kode9 soulignait un souvenir qui l’a influencé dans sa musique :

I don’t have strong memories of childhood, but I do remember a recurrent nightmare when I was a child in which I’d be standing in front of an articulated truck that was speeding past me. It was centimetres in front of my face and making an ultra-loud roaring sound that would make me wake up shouting and screaming…

Le rythme décousu donne également l’impression qu’un événement imprévu pourrait potentiellement se produire. Du fait du rythme un peu saccadé et incomplet avec des beats rappelant le son d’une balle de ping pong cabossée, on a souvent l’impression que quelque chose va arriver. C’est d’ailleurs ce qui est le plus frappant : l’évolution des morceaux se construit finalement sur une sorte de serendipité qui est le propre des grandes agglomérations. L’attente du prochain beat/sample/nappe/flux spectral correspond à une découverte inattendue et non planifiée.

On pourrait aussi la qualifier de musique sombre et de retrait. Tant par l’écoute au casque lors de balades urbaines ou de sessions graffiti que par les soirées dans des lieux à la marge du clubbing plus festif. Dans les deux cas, il s’agit d’une sorte de bulle dans laquelle on se retire… mais celle-ci peut permettre une autre perception du monde urbain qui nous entoure.

Pochette du disque Watch the Ride de Skream.

Un genre musical qui intervient sur nos perceptions de la ville

En effet, ce genre musical a plus qu’une esthétique forgée et inspirée par son origine urbaine. Le dubstep ne fait pas que refléter un environnement sombre et post-industriel. Tout simplement car sa diffusion ou son écoute au casque vient changer notre perception de la ville ou sa banlieue. Comme le dit le sociologue et producteur anglais Steve Goodman/Kode09 [en], le dubstep transforme l’urbain autant qu’il le reflète. Il explique notamment que c’est une musique basée sur les “propriétés acoustiques passives” de la ville. Le bruit généré par ce qui la constitue fait partie intégrante de la musique.

Autrement dit, les activités qui se déroulent dans les rues, dans les couloirs du métro ou le long des voies ferrées donnent plusieurs points d’ancrage sur lequel les morceaux viennent s’ajouter ou s’hybrider. C’est ainsi que la superposition entre la musique et le ronflement de moteurs ou le passage de voitures alentours rajoute des éléments percussifs ou des nappes furtives qui modifient notre perception générale. Cette particularité n’est pas propre à ce genre musical, il est directement hérité de formes antérieures comme le dub ou l’ambient. Mais le dubstep fait ressortir plus que les autres son articulation avec les sons des rues. Au moins autant que l’ambient pouvait être qualifié de “Music for airport” (Brian Eno).

Écouter du dubstep au casque en se baladant dans la ville, c’est appréhender l’environnement spatial différemment. La musique devient une sorte de prisme par lequel appréhender l’activité de la ville, son fourmillement et son potentiel. Il faut pratiquer l’exercice et le vivre avec sa boite à musique dans la poche et le casque sur les oreilles. Le passage d’un train de banlieue devient une nappe sonore, les cris dans la rue renvoient à des samples éventuels et les vibrations du sol générées par les poids lourds viennent se mélanger aux infrabasses…

À votre tour d’aller explorer la ville avec par exemple la playlist suivante :
Skream : Dutch Flowers
Deadmau5 & Rob Swire : Ghosts ‘n’ Stuff
Cotti Feat. Kingpin : Let Go Mi Shirt
Smith and Mighty : B-Line Fi Blow
Kode9 & the Spaceape : Backward
The Bug (featuring Killa P & Flowdan) : Skeng
Digital Mystikz : Anti-War Dub
She Is Danger : Hurt You
DJ Fresh : Gold Dust (Flux Pavilion Remix)


Image CC Flickr Paternité pellesten; briceFR

Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-) Retrouvez-nous aussi sur Facebook et Twitter (Nicolas / Philippe) !

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